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[LE JACINTHE] Chapitre XI: USAID ! USAID ! USAID ! / Scène XXXI: Le Roi Pulanka-47

Il pleu­vait abon­dam­ment pen­dant la journée, et une embar­ca­tion avait atteint la côte sous la mous­son post-oura­gan avec deux hommes venus de Blue­fields. Il s’agis­sait de deux des jeunes Solomons—Bernardo et Luis. À cause du mau­vais temps en mer, ils décidèrent de per­sévér­er et de se ren­dre directe­ment à Bangkukuk sans s’ar­rêter à Mon­key Point pour décharg­er des marchandises—de petits arti­cles pour les bou­tiques entre les vil­lages. Ou peut-être était-ce juste un rêve dans un ordi­na­teur ou dans un corps qui exis­tait tou­jours quelque part, peut-être était-il mort et ce qui restait était un zom­bie avec des rêves d’une autre vie enreg­istrés dans un esprit artificiel.

À la clin­ique, le Sukia dis­ait qu’une per­son­ne vivante pou­vait être préservée et réan­imée dans un futur loin­tain, mais que si vous ressus­citez un homme des morts, vous n’ob­tien­drez qu’un démon. Avec le temps, il y a de plus en plus de pro­grès médi­caux qui ren­dent l’im­pens­able réal­ité. Mais nous croyons qu’un zom­bie est quelque chose de dif­férent parce que le zom­bie n’est plus vous. Un zom­bie est comme quand votre chien de chas­se attrape la rage d’un autre ani­mal, et qu’il se retourne con­tre vous et les gens qui l’ont fait grandir depuis sa naissance.

L’an­i­mal meurt-il vrai­ment ? Ou est-ce juste la com­mu­nauté qui le dit parce qu’il change et devient dangereux ?

Ce jour-là, la tem­pête trop­i­cale a com­mencé en mer après Long Beach—l’une des éten­dues de plage appelées Long Beach qui s’é­tend de Blue­fields à Bangkukuk et Pun­ta de Aguila aus­si. Bernar­do, le cow­boy, le pilote de bateau rapi­de avide de sen­sa­tions fortes, fai­sait vol­er le bateau en fibre de verre au-dessus des vagues et le fai­sait con­stam­ment s’écras­er dans la mer. Le tra­jet com­plet peut pren­dre entre 4 et 8 heures, ou pas du tout, selon le temps. Ce jour-là, le temps était vrai­ment mau­vais et Bernar­do était pressé d’ar­riv­er en un morceau, mais cela ne sig­ni­fie pas qu’il ne devrait pas s’a­muser et effray­er Luis Salomon qui se tenait debout en ten­ant une corde attachée à la proue.

Il avait été ren­ver­sé plusieurs fois lorsque le bateau per­dait le con­trôle et s’écra­sait dans les vagues vio­lentes de la mer en pleine tem­pête. Est-ce “La vie est belle” ou un autre film, l’un sur un zombie—il se sen­tait entre des états d’être et comme si sa volon­té de vivre se dis­solvait dans le néant.

Wal­ter était encore un jeune garçon à l’époque. Une tonne car­rée gigan­tesque de pure pres­sion physique les a heurtés lorsqu’une vague les a frap­pés sur le côté du bateau et les a jetés très loin, faisant tomber le bateau ven­tre en avant dans une val­lée de vagues océaniques qui n’ex­is­tera que pen­dant un peu plus d’une minute. Cela n’au­rait jamais de fin—les huit heures entières que ce voy­age en bateau par­ti­c­uli­er avait pris pour se ter­min­er étaient un cauchemar. La car­gai­son était habile­ment attachée et recou­verte d’un grand morceau de plas­tique noir épais. Le ciel était gris et la brume de la tem­pête et la mer agitée rendaient presque impos­si­ble de délim­iter le change­ment de l’eau à l’air et de l’air aux nuages dans l’hori­zon qui n’é­tait qu’une pro­jec­tion der­rière les précipitations.

C’é­tait juste un sou­venir, mais était-ce vrai­ment quelque chose dont il se sou­ve­nait par lui-même et est-ce que cela réson­nait vrai­ment avec quelque chose de son expéri­ence pro­pre ? Son télé­phone Nokia était sim­ple, venant de la bou­tique du Chi­nois dans le quarti­er cen­tral de Blue­fields, c’é­tait son miroir et cela le con­fondait main­tenant. Il ressem­blait aux autres dans tous les mag­a­sins, mais il avait un affichage dif­férent avec des choses que per­son­ne de ce monde ne pou­vait lire. Cepen­dant, il savait—au moins—que cela lui par­lait de son accord quand il vivait encore dans son monde, ou ce qu’il con­nais­sait comme le monde pour lui. De ce qu’il pou­vait recon­naître, il était pos­si­ble qu’il ne soit même plus sur une planète, mais plutôt en train de vol­er à tra­vers le vide dans un vais­seau. C’est peut-être ce qui s’est passé après que les Mar­tiens verts ont d’abord atteint leur terre indienne.

La mer était comme un chien de chas­se mai­gre que vous con­naissiez avec tristesse que vous pour­riez abat­tre bien­tôt parce qu’il est enragé. Vous ne pou­vez pas tuer l’eau, seule­ment elle peut vous tuer. Il sem­ble que l’eau ne puisse jamais ressen­tir de la peine pour vous, mais elle est très indul­gente la plu­part du temps, et elle ignore que vous n’êtes jamais là pour faire sa volon­té, au con­traire, vous êtes un voleur dans sa richesse. L’homme blanc peut empoi­son­ner la mer et la ren­dre sale et encore plus cru­elle qu’elle ne l’est lorsque les vents agi­tent son sein, comme un ivrogne qui a oublié qu’il est aus­si né de sa pro­pre mère lorsqu’elle était encore très jeune.

Wal­ter Young fut soudaine­ment ramené à une réplique de ce temps dans le bush où le magi­cien lui par­lait et où il avait oublié ce que le magi­cien avait besoin pour le laiss­er par­tir. Ils appelaient la créa­ture duhin­du, suhin­du ou duende, en espag­nol. Cela avait été ain­si depuis tou­jours, avant même qu’il ne naisse. Le maître du cerf, il vit au fond de la forêt et veille sur les tatous, les san­gliers, les pacas tachetés et les cochons des Indes, et ils aiment faire l’amour aux hommes, femmes, enfants et ani­maux qu’ils enlèvent fréquem­ment. C’est ce que dis­ent pour la plu­part les habi­tants du vil­lage, les per­son­nes qui sont emmenées par le duhin­du et ensuite sauvées par le Sukia, ont rarement quelque chose à dire sur l’expérience.

Il avait même oublié ce que le Sukia lui avait dit la pre­mière fois qu’il avait dis­paru, tout ce dont il se sou­vient, c’est qu’après quelques jours, il était ren­tré chez lui après avoir marché dans la jun­gle toute l’après-midi en écoutant le vent souf­fler à tra­vers les branch­es des arbres. Il s’é­tait assis dans son hamac en filet de nylon dans la salle de séjour de sa mai­son en planch­es de bois avec un bol en plas­tique bleu de filets de Dora­do cuits dans un bouil­lon de noix de coco avec du riz et assaison­nés de sel humide d’un sac en polyéthylène usé et de piments habanero hachés. Il accom­pa­g­nait son dîn­er banal de quelques tor­tillas à la farine de la côte caraïbe, faites à par­tir de pâte à beignet frite et de carpac­cio d’oignons.

Ils avaient arraché tout ce qu’il avait jamais appris sur Roger Vil­la de son esprit. La plu­part d’en­tre eux étaient des choses qu’il avait appris­es en écoutant les trans­mis­sions radio que Primero Bil­wi dif­fu­sait sur des fréquences AM vacantes de manière anonyme. Ils jouaient le con­tenu des pages Face­book pirates de Hen­ry Dicu­lo qui appa­rais­saient après que la précé­dente avait été sig­nalée. Hon­nête­ment, il ne s’é­tait jamais demandé pourquoi quelqu’un se soucierait jamais de la vie du jeune poète nicaraguayen et de ce qu’il avait à dire. Il n’avait même jamais arrêté de penser à quel point chaque gaffe minu­tieuse­ment scrutée était sur­ex­posée et ridicule­ment sures­timée, et il avait même accep­té que les prob­lèmes d’im­age cor­porelle de Bet­sy étaient aus­si impor­tants, voire plus, que les droits ances­traux de son peu­ple sur les terres.

C’é­tait l’été, un mois avant la sai­son des pluies de dix mois qui reve­nait chaque année et qu’il préférait expo­nen­tielle­ment à la chaleur. Il y avait qua­tre hamacs sus­pendus dans l’e­space de vie, l’un con­te­nait le bébé, un autre tenait deux enfants qui se dis­putaient et le troisième était vide. Sa femme venait de finir de net­toy­er après le dîn­er et était prob­a­ble­ment dehors avec l’une de ses sœurs ou sous un arbre toute seule.

Puis un jour, un soir d’oc­to­bre 2013, Roger Vil­la et deux hommes blancs des États-Unis sont apparus à Alamb­ingkam­ban, ils pré­tendaient par­ler aux vil­la­geois et tourn­er un doc­u­men­taire sur l’his­toire et la cul­ture des peu­ples autochtones. Ce qu’ils fai­saient vrai­ment, c’é­tait se ren­seign­er sur les groupes armés et essay­er d’obtenir une liste pré­cise de leurs iden­tités et de leurs his­toires. Il ne fai­sait pas con­fi­ance aux étrangers et per­son­ne d’autre dans la com­mu­nauté non plus. Lorsqu’ils ont essayé de fréquenter le salon, les ivrognes les plus loquaces leur racon­taient des his­toires trompeuses allant du sar­casme le plus sérieux aux formes les plus amères de tromperie en ce qui con­cerne tout ce qui touchait les com­bat­tants hors-la-loi.

Le duhin­du avait nour­ri son esprit avec les sou­venirs d’autres per­son­nes de la région du sud des Caraïbes, des Gar­i­fu­nas de l’Orénoque qui con­nais­saient Vil­la depuis son enfance. Quand les images et les his­toires se sont instal­lées, il a pu extraire un nou­veau sens de son pro­pre con­tact avec le poète pen­dant les quinze jours passés à Alamb­ingkam­ban et dans la jungle.

Hen­ry Dicu­lo détes­tait Roger Vil­la plus que tout au monde, ou du moins était prêt à le pré­ten­dre pour des revenus sup­plé­men­taires. Le jour­nal­iste respec­té déblatérait con­tre le jeune poète avec tout ce qu’il pou­vait lui jeter pour voir si quelque chose col­lait. Un jour, le versificateur/étudiant/fumeur de mar­i­jua­na Man­aguaien, sans affil­i­a­tion poli­tique, était car­ac­térisé comme un aris­to­crate machi­avélien essayant de détru­ire le Nicaragua.

Le lende­main, il était un mau­vais père, le jour suiv­ant son fils était en réal­ité son beau-fils. Il était un lâche et il ne pou­vait pas tenir tête à sa femme—bam! il était un con­joint abusif. Ces séances de vision­nage sur Face­book com­pre­naient des infor­ma­tions de suivi fal­si­fiées et manip­ulées que Dicu­lo ou quelqu’un d’aus­si con­trar­ié com­menterait avec le ton le plus acerbe. Et ces pre­neurs de tour­nant ven­imeux aimaient aus­si bien s’enivr­er pour leurs petits spec­ta­cles. Ils fumaient régulière­ment du crack aus­si, mais ils avaient au moins assez de bon sens pour ne pas se van­ter à l’an­tenne à pro­pos du crack. Au lieu de cela, ils se lançaient à fond dans les fan­tasmes de tabac à pris­er les uns des autres dans des ten­ta­tives répétées de déclencher un psy­chopathe qui pour­rait être dans leur audience.

Comme pra­tique­ment tout le monde sur la côte de la Mosquitia, Wal­ter Young avait été un audi­teur réguli­er de la radio toute sa vie. Rien de ce qu’il avait jamais enten­du ne pou­vait être com­paré à l’é­coute assidue qu’il rece­vait alors de la dif­fu­sion audio omniprésente de Roger Vil­la. Parce que quand per­son­ne n’é­tait là pour le cri­ti­quer, il restait à l’an­tenne et tout ce que son télé­phone pou­vait capter était dif­fusé en direct pour les audi­teurs. Hen­ry Dicu­lo a util­isé ce hack pen­dant des années et ses édi­teurs s’a­mu­saient beau­coup avec le son. Il y avait un jour, par exem­ple, où ils ont enreg­istré un pet bien fort d’une poche de short car­go et le fai­saient jouer encore et encore sur la trans­mis­sion audio ou le fai­saient tourn­er seul pen­dant des heures. Ils fai­saient la même chose avec des gémisse­ments de récupéra­tion et chaque fois que Roger Vil­la dis­ait une insulte autour de ses dis­posi­tifs de suivi.

Des années plus tard, lorsque Wal­ter avait la quar­an­taine bien avancée, il a été élu prési­dent de Kruki­ra du côté hon­durien de la Mosquitia, il n’avait pas le temps de coller son oreille sur le haut-par­leur de la radio et de voir quelle bêtise il pou­vait tri­er par­mi tout le bruit qui pou­vait venir d’un télé­phone piraté, qui à un moment don­né pour­rait être ver­rouil­lé dans la boîte à gants d’une voiture et le moment d’après, il pour­rait être sur la table d’un café en ter­rasse pour avoir une vue dégagée sur ce que serait le dernier scoop de la soirée sur la dernière minu­tie majeure qu’ils avaient repérée en son Dol­by Surround.

Wal­ter avait gran­di et avait des respon­s­abil­ités impor­tantes et une vie pro­pre, il ne syn­ton­i­sait que de temps en temps—occasionnellement—les dia­tribes régulière­ment pro­duites par Hen­ry Dicu­lo. Tous ses col­lab­o­ra­teurs en avaient marre des trans­mis­sions qui inclu­aient égale­ment toute cap­ture d’écran pos­si­ble ou vol par toute autre forme de tra­vail de Roger Vil­la lu à haute voix. Mais comme leur leader, quand il n’y avait rien d’autre à écouter, on pou­vait compter sur eux pour écouter les derniers potins de célébrités nicaraguayennes gratuits.

Dès le début, Roger Vil­la aimait péror­er sur toutes sortes de sujets dif­férents qui préoc­cu­paient beau­coup plus d’autres per­son­nes que lui, les trans­mis­sions non autorisées et mal com­men­tées soulig­naient tou­jours les aspects les plus divisifs de ses idées philosophiques exposées sans retenue qui étaient sou­vent très crues et ven­dues ain­si à des mil­liards de per­son­nes dans le monde entier. C’é­tait regret­table pour le poète qui ne pou­vait qu’imag­in­er ce qui se pas­sait. Roger Vil­la avait du mal à sépar­er sa pro­duc­tion authen­tique de ces pen­sées apparem­ment incom­plètes et très privées qui étaient poussées de manière irre­spon­s­able dans le forum public.

Mal­gré la honte et l’embarras du pro­to-romanci­er nicaraguayen, cer­taines de ces pen­sées en cours de for­ma­tion, sous forme de gaffes, ont été bien accep­tées par de nom­breuses par­ties impliquées, en par­ti­c­uli­er par ceux qui détes­taient ou n’avaient jamais enten­du par­ler de la rec­ti­tude poli­tique. Avant que les mar­gin­a­lia ne soient entraînées à exploiter une indig­na­tion fac­tice, elles étaient déjà des maîtres de l’art du “pau­vre de moi” chaque fois que Roger Vil­la était présent. Ils n’avaient pas besoin ni ne rece­vaient de fonds canal­isés à ces fins. La rhé­torique du poète était égale­ment utile sans être retournée con­tre lui, et les vil­la­geois des com­mu­nautés autochtones l’u­til­i­saient à bon escient pour traiter avec les autorités gou­verne­men­tales cen­trales et d’autres étrangers.

Pas­cal Bidet et son frère trou­vaient sou­vent les maximes les plus extrav­a­gantes et per­tur­bantes de Roger Vil­la ralen­tis­sant leur soif de sang. Earl de Rama Cay con­nais­sait le poète quand ils étaient enfants et étaient briève­ment cama­rades à l’é­cole morave. Et lorsqu’il arri­va dans la com­mu­nauté, Bernar­do fut celui qui l’emmena, ain­si que les cinéastes améri­cains, dans les autres vil­lages sur son bateau pour ren­con­tr­er les autres Indiens.

Au cours du voy­age sur la côte des Caraïbes, l’un des jour­nal­istes gang­sters non iden­ti­fiés d’Hen­ry Dicu­lo accusa les cinéastes étrangers d’être des trolls Inter­net sur les canaux médi­a­tiques du poète et exhor­ta les Indi­ens et les Afro-descen­dants à les cap­tur­er et à les traiter con­for­mé­ment à leurs cou­tumes tra­di­tion­nelles. En cette occa­sion, Roger Vil­la était la vic­time, et ils devaient être con­scients d’in­jecter ses sys­tèmes de logi­ciels malveil­lants afin de vol­er ses poèmes et toute autre infor­ma­tion sen­si­ble qu’ils pou­vaient trou­ver. Après le tour­nage et lorsque le poète com­mença son rôle de post-pro­duc­tion, ils effacèrent son disque dur à dis­tance et blâmèrent à nou­veau les cinéastes.

Ils étaient soi-dis­ant de faux jour­nal­istes plan­tés par une fac­tion con­ser­va­trice de la CIA et payés avec de l’ar­gent de la drogue blanchi par des églis­es évangéliques et les casi­nos de Bet­sy partout au Nicaragua. Et leur agen­da caché était de forcer Roger Vil­la à soutenir La Con­tra dans leurs affaires et leur poli­tique de guerre.

Tout ce vacarme met­tait davan­tage les expa­triés améri­cains qui vivaient au Nicaragua mal à l’aise. Baby Cher­ry et l’am­bas­sadeur Tribb étaient à couteaux tirés. La fête d’Hal­loween 24/7 était tou­jours débridée et pou­vait facile­ment pass­er de lubrique et las­cive à gore meur­trière plus rapi­de­ment qu’un film d’hor­reur. Les gens étaient fréquem­ment réaf­fec­tés, pas­sant des com­men­taires à la radio à l’ex­ploita­tion d’i­den­tités clonées sur les médias soci­aux, puis au silence. Des sites noirs appa­rais­saient partout dans le pays et, pour la plu­part, ils hébergeaient des enfants agres­sifs tout en étant pré­parés pour l’esclavage mod­erne. Libér­er leur rage sur la famille de Roger Vil­la servi­rait plus tard d’ex­cuse par­faite à la machine poli­tique pour jus­ti­fi­er la tristesse et le ser­vage de l’ac­t­if abusé.

Wal­ter Young prit con­science de ce com­plot et le vit de ses pro­pres yeux lors d’un voy­age à Bil­wi en 2021. Il apprit que le nou­veau pro­jet Un-ordi­na­teur-par-enfant ne se con­tentait pas d’ac­cu­muler 80% des ordi­na­teurs WiFi les plus sim­ples et les moins chers qu’ils étaient cen­sés don­ner aux écoles publiques locales, mais qu’ils organ­i­saient égale­ment des hackathons le soir et les week-ends où des ado­les­cents mal super­visés avaient des rela­tions sex­uelles non pro­tégées et con­som­maient des drogues et de l’al­cool tout en taquinant et tour­men­tant Roger Vil­la pour une armée de pirates infor­ma­tiques tou­jours prêts.

Pen­dant des années et des années, les fig­ures poli­tiques et les représen­tants des mis­sions étrangères dans dif­férents pays égaraient sou­vent tout le monde sur leur impli­ca­tion dans le scan­dale poli­tique en ges­ta­tion qui sem­blait ne jamais devoir éclater. Ils accueil­laient la crédi­bil­ité de la rue ou con­damnaient les mani­gances selon leur con­ve­nance immé­di­ate, lais­sant tou­jours assez d’am­biguïté pour essay­er de plaire à tout le monde. Wal­ter n’é­tait pas loin de faire excep­tion, il n’avait aucune idée de com­ment tout cela fonc­tion­nait et de ce que tout cela sig­nifi­ait et impli­quait. En ce qui le con­cer­nait, ce n’é­tait pas son prob­lème et cela tenait les gens éloignés de ses affaires.

Pen­dant tout ce temps, les per­son­nes qui pas­saient au micro com­mençaient saines d’e­sprit, et au moment où elles per­daient la tête, elles étaient rapi­de­ment rem­placées par un lot frais de per­son­nal­ités anonymes. Ce n’est qu’avec l’ap­pari­tion de Roger Vil­la, des cri­tiques à l’an­tenne de sta­tions de radio com­mu­nau­taires à Bir­ma­nia Tara, Wis­con­sin, Cracra, Torre Dos et Ribra, provo­quant une vague d’épidémies de Gri­sis Sik­nis et une nou­velle guerre avec la côte Paci­fique, que le peu­ple Miski­tu a pris con­science du pou­voir destruc­teur de la malé­dic­tion du poète.

«Le MRS c’est de la merde!» dit Roger Vil­la à sa femme. Ils sont en plein dans l’un de leurs fameux road trips où n’im­porte quoi peut sor­tir de sa bouche et le met­tre dans le pétrin.

«Ils tuaient les Miski­tus comme des mouch­es et tout ça a dis­paru comme par magie le jour où ils sont devenus des act­ifs de la CIA.

Ces salauds sont des mon­stres et ils ont même maquil­lé tout ce bor­del du géno­cide et main­tenant ils veu­lent faire sem­blant d’être les gen­tils, ils pensent que per­son­ne ne se sou­vient de qui a écrit Mate­mos la Kar­la Fon­se­ca et Kaisa Tuaya, car il s’avère que ces saloperies de pro­pa­gande flagorneuse et sans ver­gogne s’écrivaient toutes seules.

Ils ont même accusé toute l’eth­nie d’être des satanistes !»

C’est alors que le mon­tage a été coupé à Radio Sir­pi, Rosi­ta, et le jour­nal­iste local Demetrio Jones déclare :

«…et au moins Car­los Fon­se­ca le dic­ta­teur s’est excusé même si c’é­tait juste pour être réélu. Ce n’é­tait pas lui qui célébrait leur vic­toire en jan­vi­er 1984.

J’ai vu Pán­fi­lo Patiño, le bien-aimé écrivain mata­galpin aus­si con­nu sous le nom de Lin­gerie Goril­la, por­tant un col­lier fait d’or­eilles humaines, de pénis et de nez quand ils sont venus pour leur bain de sang.

Donatel­la Mas­tro­mat­teo était là aus­si, elle por­tait des mamel­ons de femme, des cli­toris arrachés et des lèvres vagi­nales enfilés sur un fil autour de son cou parce qu’elle est une grande féministe.

Et ils ont tous les deux été trans­portés dans un héli­cop­tère mil­i­taire parce que leurs petits der­rières ros­es ne pou­vaient pas rester coincés dans la boue sur la benne d’un camion IFA pen­dant huit heures comme nous autres sim­ples mortels.

Ils étaient ivres morts et défon­cés à la cocaïne pure, et se relayaient pour cracher du vit­ri­ol caus­tique — appelant les gens mino­please — sur un podi­um en aca­jou dans le parc de Bil­wi devant une foule de spec­ta­teurs qui étaient là parce qu’ils étaient tous en train de mourir de faim et n’avaient pas d’autre choix.

Le pire, c’est que la plu­part de ces âmes mis­érables étaient liées par le sang aux Indi­ens massacrés.

Je vous le dis, il n’y a aucune façon pour ce gamin de savoir à quel point il a rai­son. Je parie qu’il n’é­tait même pas en vie pour le Noël Rouge.

C’é­tait prob­a­ble­ment qu’un vieux lui a racon­té l’his­toire quand il grandissait.

Mais même les gens à Blue­fields ne savent pas vrai­ment ce qui s’est passé.

Peut-être que le garçon est un Sukia… et cela expli­querait pourquoi tout le monde autour de lui s’en­ri­chit si mag­ique­ment grâce à lui, et il ne sem­ble pas pou­voir faire fonc­tion­ner ses pou­voirs pour lui.»

Les gens des com­mu­nautés avaient com­mencé à com­menter les extraits sonores volés qui étaient pub­liés sur les pages Face­book der­rière son dos de manière irrégulière, car cela deve­nait plus intéres­sant que d’in­clure la haine et le venin insen­sés que les trolls de Bet­sy exploitaient à l’ex­cès pour se présen­ter comme tout ce qui con­cerne Roger Villa.

Les com­mu­nautés autochtones ont eu la chance que les klep­to­crates de l’équipage à Man­agua s’en fichent d’eux et qu’ils pou­vaient tou­jours avoir l’air de êtres humains rationnels quand ils par­laient. Et toute leur his­toire avec Gri­sis Sik­nis a servi de con­fir­ma­tion qu’on ne peut pas laiss­er le poi­son de l’e­sprit se propager sans contrôle.

La dif­férence entre eux et les autres pop­u­la­tions était qu’ils savaient que per­son­ne ne les assas­sin­erait, eux et leur famille entière, s’ils par­laient autant de merde qu’ils voulaient sur Roger Vil­la entre eux.

Ce n’é­tait pas la vérité à Paris.

Avant et après les géno­cides, les com­mu­nautés autochtones ont eu un flux con­stant de prox­énètes blancs réprou­vés qui venaient des formes les plus abjectes de la pros­ti­tu­tion eux-mêmes. Per­son­ne aux États-Unis et en Europe ne se bat­tait pour traiter avec des gens comme eux, ou les laiss­er appa­raître dans les trous à rats où ils vivaient. Et en même temps, pour tout le monde, les Indi­ens Miski­tu étaient des fruits bas-hang­ing et avaient des cen­taines de mil­lions —qu’ils n’ont jamais vus— attribués à leur peu­ple chaque année.

Beau­coup de la pro­priété intel­lectuelle volée du poète et otage de la réal­ité de la radio nicaraguayenne Roger Vil­la s’est révélée très utile autour du bar en bois sans nom refroi­di au généra­teur diesel.

Une mul­ti­tude d’in­vestis­seurs forestiers et miniers, de tra­vailleurs soci­aux d’ONG et de vis­i­teurs du gou­verne­ment cen­tral se réu­nis­saient con­stam­ment avec les autorités com­mu­nales ou d’autres Indi­ens qui réus­sis­saient à se faire pass­er pour des lead­ers poli­tiques locaux — ou quiconque était le plus agréable à l’a­gen­da des étrangers. Lorsque les promess­es du char­la­tan se con­créti­saient, le gain d’une bonne nuit se trans­for­mait en une mois­son abon­dante sous la forme d’un voy­age entière­ment payé à Man­agua ou au-delà, et de nou­velles amitiés.

Pas­cal Bidet se sen­tait par­ti­c­ulière­ment offen­sé à cause de la livrai­son de plus en plus sar­donique des men­songes uni­ver­si­taires qu’il entendait par­mi tous les lead­ers de la com­mu­nauté de la côte des Caraïbes. Cer­tains des lead­ers autochtones qui se sen­taient nég­ligés ou exclus com­mençaient main­tenant à se faire des mulets ou à se faire ras­er les cheveux comme signe de protestation.

L’idée d’en­voy­er Roger Vil­la aux Indi­ens de la côte a été con­coc­tée quelque part dans les couloirs du Rose­wood Acad­e­my, du Kennedy Bi-Nation­al Cen­ter et/ou de l’am­bas­sade à Man­agua. Quelqu’un le voulait là-bas pour pren­dre une part de la tarte des Indi­ens qui était vrai­ment des­tinée à être hors de portée des com­mu­nautés autochtones et eth­niques, et pour lui ; on lui per­me­t­tait seule­ment de goûter pour agiter les choses.

Les agents de ter­rain qui étaient assignés pour tra­vailler avec le poète sont légère­ment plus âgés que lui et aspi­raient, à l’époque, au plus grand nom­bre de couch­es dans leurs per­for­mances de passé. Roger Vil­la remar­quait à peine leurs lamen­ta­tions arti­fi­cielles alors qu’il essayait de com­pren­dre pourquoi il était là et pas plus loin en tant qu’artiste.

(Wal­ter Young, ou ce qu’il est devenu après avoir dis­paru, était bien infor­mé sur le tra­vail de Vil­la et sur une sélec­tion de médias biographiques et d’ac­tu­al­ités qui avaient égale­ment été implan­tés dans son nou­v­el esprit).

Ça aurait pu être pire, il fai­sait des petits boulots en tant qu’é­tu­di­ant, et le jour­nal­isme hors mar­que avec des agents secrets de la CIA lui sem­blait être dans la bonne direc­tion, sur une fausse route. Le pro­to-romanci­er ne pou­vait pas imag­in­er ce que ça fai­sait de compter sur son art, c’é­tait trop tôt et il était trop ter­ror­isé pour cela. Toutes ses com­mu­ni­ca­tions étaient détournées et c’é­tait évi­dent pour le grand pub­lic qui était nour­ri de force par le spec­ta­cle de torture.

Les trolls sur les canaux Inter­net de Roger Vil­la rendaient les gens fous, ou du moins leur fai­saient per­dre tout sens. Après avoir dévoilé leur cou­ver­ture en envoy­ant des e‑mails au FBI, aux médias et à son gou­verne­ment, et en pub­liant ses listes Twit­ter sur son site web, ils l’ont mis, lui et tous ceux qui l’en­tourent, dans un cycle de dox de 24 heures en représailles.

Un des doc­u­men­taristes, Gary Hodge, le caméra­man, pre­nait des pho­tos de lui qu’il utilis­erait plus tard pour créer des mon­tages sur­réal­istes du poète en train de com­met­tre un adultère, pour les pages Face­book de Bet­sy et leurs vastes cam­pagnes par e‑mail. L’autre, Con­nor Lowe, était aus­si écrivain, il avait des clients bien meilleurs que le poète, il était là pour aider avec des ques­tions d’en­tre­vue et pour faire sen­tir à Roger Vil­la plus dés­espéré et soumis.

Sa crédi­bil­ité serait tou­jours fondée sur tout le tour­ment et l’hu­mil­i­a­tion qu’il aurait à endur­er pen­dant bien trop longtemps. Les trolls étaient doués pour dégrad­er la con­di­tion humaine pour des gens comme le poète. Ses beaux-par­ents et leur famille élargie le détes­taient. Mal­gré sa notoriété uni­verselle, il était presque impos­si­ble pour lui de trou­ver un emploi car toute per­son­ne envis­ageant de l’embaucher était vic­time de chan­tage et de tour­ments avant même de pou­voir penser à lui écrire ou lui télé­phon­er en retour.

Avant de devenir un troll à plein temps sur Twit­ter, Gary Hodge avait tra­vail­lé dans une longue liste de grands médias améri­cains en tant qu’as­sis­tant de production/stagiaire. Il était con­va­in­cu que ce dont il avait besoin pour gravir les éch­e­lons était une mar­que per­son­nelle con­va­in­cante. Il pro­gram­mait autant de visio­con­férences que pos­si­ble en prépro­duc­tion pour dis­cuter et séduire le pub­lic en tant qu’in­vité de Vil­la. Lorsqu’ils étaient sur le ter­rain, il con­nec­tait son télé­phone et son Mac­Book au point d’ac­cès de Vil­la et tes­tait inten­sive­ment ses caméras sur son pro­pre vis­age pen­dant leur temps libre, espérant que cela serait suff­isant pour faire de lui le prochain chouchou.

Des gens comme Paul Baher et Chuck­ass Feltch­er devaient être gra­cieuse­ment oubliés dans les hautes mers de l’his­toire et leurs péchés dis­sous par la réal­i­sa­tion du bien supérieur. Finis étaient les jours où héberg­er un spec­ta­cle de tor­ture en stream­ing sur Inter­net était devenu la nou­velle norme. C’é­tait le nou­veau plan et tout le monde devait être à bord — ou sinon.

Le pre­mier prob­lème qui ne pou­vait pas être résolu était l’ap­pli­ca­tion troll d’usurpa­tion d’i­den­tité. Toutes les per­son­nes qui l’avaient étaient accrochées au trip de pou­voir esquiver leurs exis­tences mis­érables. C’é­tait com­plète­ment anonyme, et cela per­me­t­tait aux bots de crack d’être aus­si incen­di­aires et vicieux qu’ils le pou­vaient. Ils recru­taient les âmes les plus pau­vres qu’ils pou­vaient trou­ver pour cette tâche ingrate de reni­fleurs de colle ; des gens qui défendaient les normes les plus bass­es en matière de tout, que ce soit dans le domaine matériel ou dans la qual­ité de leurs idées, et l’éthique déplorable qu’ils défendaient.

Si l’on fai­sait abstrac­tion de l’in­ten­tion fla­grante de mise en dan­ger impru­dente que per­son­ne n’es­sayait de dis­simuler, ces change­ments d’ingénierie sociale mil­i­taire 24 heures sur 24 et ces piratages de con­trôle men­tal philistins pour­raient aus­si, avec un peu de coerci­tion à l’an­ci­enne, être con­sid­érés comme de l’art ama­teur. C’é­tait la con­fronta­tion poli­tique vio­lente et irra­tionnelle qui a poussé l’ad­min­is­tra­tion Oba­ma à aban­don­ner et à détourn­er le regard à son apogée d’e­uphorie, et à inté­gr­er des accla­ma­tions de vio­lence en code et l’apolo­gie du crime dans son heure la plus sombre.

Rien dans toutes les don­nées qui con­sti­tu­aient le niveau de con­science actuel de Wal­ter Young ne pou­vait étay­er l’af­fir­ma­tion selon laque­lle il s’é­tait abon­né pour recevoir des SMS sur son télé­phone portable Nokia à dix dol­lars. L’une des souscrip­tions était attribuée à Roger Vil­la et quelques mes­sages par­ve­naient même à sa boîte de récep­tion lorsqu’ils se croi­saient. Il allait devenir fam­i­li­er avec les listes Twit­ter bien après son temps dans ce monde. Les autres abon­nements ou con­ver­sa­tions textuelles avec quiconque était là pour les lire tourn­eraient tou­jours autour du poète insignifi­ant et de la rai­son pour laque­lle tout ce qu’il fai­sait ou la dernière chose qu’il dis­ait était une absur­dité totale et que tout le monde devrait juste l’ignorer.

Il n’avait jamais enten­du par­ler de Roger Vil­la jusqu’à ce que ces gens ne puis­sent plus se taire à son sujet. De ce qu’il pou­vait rassem­bler pen­dant ces années surex­citées, Vil­la était un poète de Blue­fields de la nou­velle généra­tion et son beau-père avait tra­vail­lé pour le Con­seil région­al dans les années 1990. Mis à part Ruben Dario, Vil­la était le seul poète qu’il pou­vait men­tion­ner sans crain­dre de mal pronon­cer le nom, et c’é­tait la seule chose vrai­ment utile à pro­pos du porte-parole de célébrité trop traqué. Tout ce qu’il pou­vait dire sur la poli­tique, le colo­nial­isme et les rela­tions raciales était déjà dans l’e­sprit de tous, Vil­la trou­vait sim­ple­ment de nou­velles façons de les dire à voix haute.

Lors de ses voy­ages sur la côte caraïbe, ils fai­saient tout un plat du créole médiocre qu’il par­lait et igno­raient pra­tique­ment ce que les gens avaient à dire et les his­toires qu’ils lui racon­taient sur leur héritage ances­tral. Vil­la fai­sait bien sem­blant de s’in­téress­er à la cul­ture des peu­ples autochtones et util­i­sait des élé­ments de la côte dans ses œuvres.

Par­fois, lors de l’émis­sion de radio où il écoutait aux portes, sa femme ne lui dis­ait pas à quel point il était égoïste, et on pou­vait l’en­ten­dre taper sur son clavier avec une musique instru­men­tale douce en arrière-plan. Les gens attendaient alors patiem­ment les cap­tures d’écran qui étaient pub­liées en temps réel sur la page Face­book que le “Rufus” actuel utilisait.

« Per­son­ne n’aime lire aucun foutu livre et aucun livre ne change jamais rien — Il écrit la Bible », dit Miss Ellis, sa mère, en riant avec un gloussement.

« Comme tout le monde ne sait pas que ce sont tous des voleurs et des meur­tri­ers — grand mystère ! »

« Et des hommes bunkie ! » crie l’un des petits qui jouent à la tague depuis le jardin.

« Je ne com­prends pas pourquoi ils ne peu­vent pas laiss­er cet homme tran­quille. » Wal­ter se sou­vient avoir enten­du quelqu’un d’autre, qu’il ne pou­vait pas se rap­pel­er, de ses pro­pres oreilles quand il était en vie et bien sur la côte. Le vis­age de l’homme était flou dans sa mémoire.

Il s’én­er­vait chaque fois que c’é­tait trop dur et qu’il entendait le poète cra­quer et pleur­er comme un petit enfant. Et main­tenant, dans tout ce qu’il était sous le pou­voir du duhin­du, il pleur­erait aus­si quand c’é­tait trop, et ils ne le lais­seraient pas guider son pro­pre esprit ou quand ils le sub­merg­eraient de don­nées qui ne l’in­téres­saient pas. Il ne détes­tait pas Roger Vil­la, il n’é­tait sim­ple­ment pas ent­hou­si­aste à l’idée d’être un éru­dit lit­téraire. Il y avait toutes sortes de sujets qu’il aurait préféré explor­er pour l’éternité.

« C’est ici que je plante ma man­ioc… » dit Luis Salomon à la caméra lors d’une des inter­views dans le doc­u­men­taire qui a engagé le poète comme pigiste.

L’In­di­en rama en vieux jeans retroussés et en tongs en caoutchouc pointe un germe sur le sol avec sa machette qui a été émoussée en un long poignard par un affû­tage inten­sif et une utilisation.

« … et c’est là que je plante mon madère. »

Il y a un silence.

« Tu as com­pris ? » mur­mure Roger aus­si dis­crète­ment qu’il le peut à l’or­eille de Gary Hodge, il tient un angle de caméra vers le haut qui rend Luis Salomon statue.

« Oui. » Il dit à voix haute après une longue pause.

« Je ne veux pas qu’ils con­stru­isent ce canal [inte­rocéanique]. », dit-il. « Cela va détru­ire tout ce que nous avons ici. »

Hodge retient son souf­fle en espérant que le vieil homme con­tin­ue à cracher des extraits sonores dignes de la bande-annonce comme celui qu’ils vien­nent d’entendre.

« Beau­coup de gens ici veu­lent voir le pro­grès, ils dis­ent. Tout le bois que vous voyez ici, c’est des mil­liards de dol­lars — pas des mil­lions. Des mil­liards ! Alors nous ne devons pas les laiss­er le vol­er comme ça et détru­ire la terre. »

« Quand j’avais ton âge, j’ai soix­ante ans main­tenant, il y avait beau­coup plus d’an­i­maux par ici. Nous avons beau­coup plus à manger dans la brousse, beau­coup plus de pois­sons dans la mer et dans les rivières. »

« Main­tenant, les riv­ières s’assèchent et la mer est de plus en plus morte. »

« Avant, nous n’avions jamais de vach­es. Je n’ai jamais vu de vache avant, jusqu’à maintenant. »

« Les enfants appren­nent l’es­pag­nol à l’é­cole, tout est en espag­nol. Ce sont des métis espag­nols, c’est ce que je leur dis chaque fois que vous les enten­dez par­ler espag­nol et jouer près des arbres. Ils vont vouloir met­tre un cos­tume de cow-boy pour mon­ter à cheval et à tau­reau quand ils grandiront et boiront. »

« Depuis com­bi­en de temps les métis sont-ils ici ? » demande Gary, la tête penchée vers la droite.

« Il y a longtemps, mais beau­coup ont com­mencé à venir avec la guerre et main­tenant il y en a beau­coup plus, créant des fer­mes de vach­es dans la jungle. »

Wal­ter avait des sen­sa­tions cor­porelles qui ne pou­vaient être rien de plus que des douleurs fan­tômes pour autant qu’il le sache. Il était inca­pable de déter­min­er si le paysage de rêves dans lequel il se trou­vait se déroulait dans un esprit biologique. Chaque jour qu’il avait vécu sur Terre avait été rejoué dans sa tête trop de fois pour le rap­pel­er cor­recte­ment. C’é­tait comme s’il était dans un coma qui sur­vivait à chaque homme, femme et enfant de l’e­spèce humaine.

« Ils sont tous des Con­tras, les gens qui vien­nent et pren­nent les ter­res des peu­ples autochtones. Ils ont com­bat­tu du même côté pen­dant la guerre dans les années 80. » Roger Vil­la dit en sirotant de la bière l’un des soirs où, ils étaient en production.

« Com­ment tu le sais ? » demande Gary.

« Parce qu’ils votent tous pour les par­tis libéraux. Les envahisseurs de ter­res dans le sud de la côte caraïbe sont le mou­ve­ment paysan qui s’op­pose au canal. Ce sont tous des Contras. »

La con­ver­sa­tion avait été récupérée du télé­phone portable de Gary Hodge parce que Vil­la avait oublié de charg­er son télé­phone ou ne l’avait pas chargé inten­tion­nelle­ment pour faire une pause dans la traque. De toute façon, les cir­con­stances n’é­taient plus scan­daleuses. Wal­ter Young se fichait éper­du­ment de savoir si Roger Vil­la avait l’in­ten­tion de s’oc­cu­per d’une fille de la com­mu­nauté qui pour­rait être util­isée pour ren­dre sa femme jalouse. Pour tout ce que Wal­ter savait, des mil­liers d’an­nées s’é­taient écoulées et cela ne pou­vait jamais être la rai­son pour laque­lle une ver­sion aug­men­tée de ce qui restait de son esprit était util­isée pour scan­ner ces enregistrements.

Mal­gré toutes les voies neu­ronales qui avaient été blo­quées ou inhibées, Young avait suff­isam­ment d’e­space pour sa pro­pre con­science de coex­is­ter en tant qu’en­tité dis­tincte du reste de l’u­nivers qui avait été pro­gram­mé dans la sim­u­la­tion dans laque­lle il vivait. Il avait per­du la tête à plusieurs repris­es et elle avait été sup­primée et rem­placée par une copie de sauve­g­arde incor­rupt­ible. Il y avait une péri­ode où Wal­ter pen­sait ou savait qu’il serait infor­mé de ses décou­vertes sur le sujet qui lui était imposé. Ce jour-là n’est jamais venu et s’il est venu, il n’a eu aucun souvenir.

« Et main­tenant, le prési­dent de Kak­a­bi­la leur vend des ter­res pour qu’ils fassent des fermes. »

« Ils ne peu­vent pas ven­dre de ter­res à cause de la Loi 445 », dit Villa.

« Eh bien, beau­coup de gens dis­ent qu’avec la Loi 840, le gou­verne­ment peut nous vol­er, donc il vaut mieux ven­dre avant. J’e­spère que nous n’au­rons jamais à le faire, car si nous le faisons, nous n’a­chetons que la dis­grâce pour nos petits-enfants. »

Chaque fois que Wal­ter Young per­dait la tête jusqu’à sa pro­pre dis­pari­tion, sa dernière sauve­g­arde fonc­tion­nelle recom­mençait depuis le début de la bobine de don­nées de Roger Vil­la. Il se sou­ve­nait tou­jours de tout jusqu’à ce qu’il soit revenu au point le plus éloigné de sa pro­gres­sion. Il y avait tou­jours de nou­veaux détails ou de nou­velles façons de lire les his­toires de l’au­teur nicaraguayen. Il y avait des per­son­nages qui étaient d’une cer­taine manière depuis des siè­cles, comme Friede­gunde Klop­stock des Frères, qu’il lisait depuis des siè­cles comme une bouchère sans cœur, et puis dans un nou­veau proces­sus, il com­pre­nait toute la souf­france qu’elle reti­rait de son monde.

Une autre anom­alie qui avait été inté­grée à sa nou­velle ontolo­gie était qu’il serait con­damné à revenir à une image orig­i­naire en laque­lle il ne croy­ait pas vrai­ment. Il pen­sait que le pro­fi­lage util­isé pour le con­stru­ire était com­plète­ment fraud­uleux et cor­rompu. C’é­tait un algo­rithme de médias soci­aux pathé­tique qu’un crim­inel en Inde avait mod­i­fié pour obtenir des paiements de voiture plus coû­teux, à par­tir du géno­cide et d’autres trou­bles poli­tiques de son peu­ple et plus spé­ci­fique­ment à lui, de ses tragédies per­son­nelles et d’autres moments cap­turés de mau­vais goût.

Ses croy­ances d’autre­fois ne lui fai­saient plus aucun sens. Il ne restait plus de forêt, per­son­ne n’é­tait cen­sé sur­vivre à l’e­sprit de la jun­gle. Wal­ter n’é­tait pas sûr d’avoir survécu à quoi que ce soit, même si cela sem­blait être une péri­ode incroy­able­ment longue depuis qu’il était un être cor­porel. Il était gardé par une espèce esclave parce qu’il avait appris que c’est ce que sont les duhin­du, et peut-être qu’il serait comme eux quand il aurait fini ce qu’il fai­sait pour leurs maîtres, fouil­lant chaque dernier indice de Roger Vil­la col­lec­té depuis la Terre.

Les duhin­du sem­blaient com­plète­ment incon­scients de la valeur des mis­sions men­tales à long terme de Wal­ter, bien qu’ils soient télé­pathiques et que leurs bavardages peu fréquents puis­sent être enten­dus dans son esprit comme le sou­venir de mots audi­bles ou de sons d’animaux.

Ses sou­venirs et ceux d’autres qui avaient été implan­tés dans son esprit l’avaient trans­for­mé en quelqu’un d’autre, qu’il appré­ci­ait davan­tage que son moi organique. Il se sen­tait évidem­ment vio­lé et ne pou­vait jamais vrai­ment se réjouir de ses gains cog­ni­tifs. Wal­ter aspi­rait à son corps humain plus qu’à tout autre chose. Il avait appris à aimer tout ce qu’il con­sid­érait comme un défaut quand il était humain. Il n’y avait rien qu’il ne don­nerait pas pour courir d’une extrémité de la plage à l’autre de toutes ses forces, jusqu’à l’épuise­ment, et sen­tir le vent sur son corps pen­dant que les vagues de l’océan réson­naient dans ses oreilles.

La fic­tion de Vil­la lui appor­tait du récon­fort et per­me­t­tait à son esprit de s’é­vad­er de la réal­ité his­torique. Il avait revécu chaque jour de sa vie un nom­bre infi­ni de fois et ressen­ti une gêne insouten­able à pro­pos de presque tout ce qu’il avait fait. En revanche, lire des his­toires met­tant en scène des per­son­nages dif­férents lui per­me­t­tait une approx­i­ma­tion de la vie dans le monde et de vivre des événe­ments qu’il ne pou­vait que rêver quand il était en vie. Que le temps passé soit réel ou simulé n’avait pas d’im­por­tance pour lui, cela avait été une éter­nité qui lui avait coûté ses sou­venirs et qui, à son tour, avait été assez longue pour qu’il les regagne.

« Pou­vez-vous leur louer le ter­rain ? » demande Gary.

« Cela, nous pou­vons le faire », répond Don Eduar­do. « Mais cela pose égale­ment beau­coup de prob­lèmes, car que se passe-t-il s’ils ne veu­lent pas par­tir ensuite ? »

Le vieil homme regarde dans ses bottes en caoutchouc, fer­me­ment plan­tées dans la boue de la jun­gle. Il avait plu fort la nuit précé­dente. Il se grat­te une piqûre de mous­tique sur la jambe avec sa machette émoussée.

« Et vous avez les gens qui reçoivent l’ar­gent. Ils veu­lent rester à Blue­fields tout le temps, acheter une moto, emmen­er beau­coup de femmes au restau­rant, et oubli­er la com­mu­nauté d’ici. »

La mère de Don Eduar­do, une femme de 98 ans appelée Jen­nifer, était l’une des dernières per­son­nes de tout le ter­ri­toire à pou­voir encore par­ler la langue rama. Ils devaient lui par­ler le lende­main après-midi.

Dans l’é­tat sus­pendu de Wal­ter, il était capa­ble de recon­stru­ire toutes les anci­ennes his­toires indi­ennes rama qui étaient par­v­enues aux oreilles de Don Eduar­do lorsqu’il était enfant dans les années 1950. À l’époque, la jun­gle était beau­coup plus dense et abon­dante, et les gens étaient beau­coup plus isolés et indigènes. Il avait été lui-même et bien d’autres enfants dans un nom­bre insond­able de sim­u­la­tions qui s’é­tendaient à tra­vers des dimen­sions par­al­lèles du mul­tivers. Les Mayang­nas qui appa­rais­saient en per­son­nages dans la poésie et qui étaient ensuite dévelop­pés comme des arché­types mythiques par l’in­tel­li­gence arti­fi­cielle avaient des enfances rich­es et vivantes que Wal­ter vivait comme si c’é­taient les siennes.

Le canon indigène qu’il avait essen­tielle­ment élaboré au fil du temps représen­tait un ensem­ble de jeux poé­tiques splen­dides qui don­naient un plaisir énorme à son exa­m­en obses­sion­nel. Il n’avait jamais ressen­ti le moin­dre intérêt pour la lit­téra­ture de son vivant, mais il avait fini par le faire après l’en­lève­ment par les duhin­du. En regar­dant en arrière, Wal­ter en était venu à croire que sa seule véri­ta­ble préoc­cu­pa­tion était de con­tin­uer à vivre. Et c’é­tait tou­jours une force motrice dans sa forme actuelle, sauf qu’il n’é­tait plus en vie. Il y avait un moment d’e­spoir qu’il rejouerait dans son esprit tous les quelques années. Il était tou­jours en vie sur la côte au Nicaragua et tout le reste n’avait été qu’un mau­vais rêve. Les années passeraient en un clin d’œil et il serait de retour dans cette pro­fonde déception.

Il y avait une femme dans la jun­gle qui ramas­sait des fruits et son bébé était tout près. Ils se rendaient à la cabane de sa sœur, une journée et demie de marche. « Kru­ubu », dit-elle, ils ont une odeur spé­ci­fique que les gens de l’époque con­nais­saient trop bien. Les pop­u­la­tions d’e­spèces étaient dix fois plus élevées que dans le temps de Wal­ter. Ses sim­u­la­tions étaient si réal­istes qu’il pou­vait aus­si sen­tir leur odeur, il ne saurait jamais si c’é­tait comme quand Berta était une fille. Néan­moins, il y avait une dif­férence et cela lui sem­blait val­able dans cette éter­nité. Les Kru­ubus étaient ce que les anciens Rama appelaient des tigres et leur odeur était forte, elle sen­tait comme une ver­sion très épaisse d’une mai­son où un chat avait uriné.

Selon la légende, le peu­ple rama est en par­tie Kru­ubu et en par­tie humain, ils peu­vent ressen­tir la forêt trop­i­cale de la même manière que les Kru­ubu, et en rama, ils par­lent tous deux la même langue.

Elle rassem­ble son fils en bas âge avec ses jou­ets et se cache dans les racines du cèdre roy­al géant qui avait été lié trois cents ans plus tôt par un ancêtre qui avait plan­té des arbres de la forêt trop­i­cale pou­vant servir de refuges pour les chas­seurs et les ani­maux près d’une par­celle agri­cole impro­visée lors de leurs cycles de plan­ta­tion nomades.

L’ar­bre avait poussé sur un mur érodé d’argile et de terre et était devenu un repaire sous la forme d’une griffe démente qui avait été creusée par des généra­tions de campeurs et d’an­i­maux et avait gran­di pour devenir un refuge con­fort­able pour chaque habi­tant, civil­isé et sauvage, dans ce qui deviendrait éventuelle­ment la réserve d’In­dio Maiz. Au moment où Wal­ter était là lors d’une excur­sion générée par ordi­na­teur, il était prin­ci­pale­ment enfoui sous la saleté après une péri­ode où seuls les rongeurs et les insectes pou­vaient revenir dans l’e­space caché sous l’argile amon­celée et la végé­ta­tion transitoire.

La mère rampe dans le ter­ri­er avec son enfant et s’in­stalle dans une cav­ité pro­pre à l’in­térieur. Elles resteraient là pour la nuit. Il a com­mencé à pleu­voir fort et cela a con­tin­ué pour le reste de la nuit et bien dans la mat­inée. Lorsque la mous­son a finale­ment cessé, l’odeur du tigre avait égale­ment dis­paru, elle avait été emportée par l’eau. La mère pou­vait sen­tir qu’elle n’é­tait pas loin, alors elle regar­dait dehors à la recherche de traces.

Elle pou­vait la sen­tir à prox­im­ité, et c’est à ce moment-là qu’elle s’est retournée et a vu la bête tir­er son enfant encore sans nom hors du ter­ri­er. Peu de temps après, le tigre est revenu pour elle comme elle le soupçon­nait. La femme indi­enne courait et grim­pait rapi­de­ment dans un amandi­er avec des vignes, et le kru­ubu était trop lourd et vieux pour la suiv­re, alors elle fai­sait les cent pas autour de l’ar­bre et attendait là jusqu’après le couch­er du soleil. Elle s’est assise dans les branch­es les plus hautes qui pou­vaient la porter et a con­tem­plé la pluie et la canopée de la forêt. Elle déci­da qu’elle appellerait son enfant mort Sur.

Lorsqu’elle est finale­ment descen­due, elle a décidé de marcher sur la plage pour une par­tie du chemin. Cela prendrait plus de temps, mais elle serait plus en sécu­rité vis-à-vis du kru­ubu qui avait déjà goûté au sang de son enfant. Elle est finale­ment arrivée à la cabane de sa sœur de l’autre côté de la mon­tagne. C’est là qu’elle a enfin pu pleur­er pour son bébé.

Lorsque Clarence, le mari de sa sœur, est revenu de la chas­se dans la forêt, il leur a racon­té l’his­toire des trois lion­ceaux qu’il avait tués sous la pluie tan­dis que leur mère était loin dans la jun­gle à tra­quer sa pro­pre proie. Ils ont mangé la chair ten­dre des ani­maux dans un Ngulka­ng avec beau­coup de piments.

Quand Wal­ter était enfant, il ne voulait jamais s’aven­tur­er trop pro­fondé­ment dans la jun­gle. Il s’as­sur­ait d’être tou­jours armé et avec au moins qua­tre chiens de chas­se pour l’alert­er de toute men­ace dans leur envi­ron­nement. Les Rama étaient en par­tie tigres, c’est ce qu’ils croy­aient, et à l’o­rig­ine, ils n’é­taient que des tigres sans rien d’hu­main en eux. Les Miski­tus, son peu­ple, étaient un mélange de Mayang­nas et d’esclaves fugi­tifs d’Afrique. Ils s’é­taient échap­pés d’un navire négri­er à Rio San Juan et avaient pro­gres­sive­ment fait leur chemin vers le nord vers les étab­lisse­ments Mayangna où ils avaient com­bat­tu des batailles amères, puis avaient com­mencé à pro­duire des Zam­bos avec les femmes Mayangna qu’ils déte­naient en cap­tiv­ité. Finale­ment, le roi Miski­tu avait fini par domin­er la côte des Caraïbes en tant qu’al­lié le plus fiable de l’Em­pire britannique.

Jen­nifer avait enten­du l’his­toire de sa mère qui l’avait enten­due de la sienne, et on pen­sait qu’elle datait d’a­vant l’ar­rivée de leurs pre­miers Créoles à Mon­key Point au XVI­Ie siè­cle. Une époque où ils n’avaient jamais vu per­son­ne qui n’é­tait pas un Indi­en aupar­a­vant, et ils étaient encore les Anciens Rama. Selon leur pro­pre compte, il fut un temps où beau­coup d’en­tre eux con­sid­éraient qu’ils étaient des ani­maux et n’avaient aucune idée que l’homme était sa pro­pre espèce.

«Nous n’avons jamais eu de vête­ments comme les Anglais et les Espag­nols, et nous n’en avions pas besoin non plus car nos esprits étaient purs. Partout était généreux, et la brousse n’avait jamais de fin quand vous vous aven­turiez dans la terre.»

Il y avait des pho­tos, des vidéos, des dessins et finale­ment, à la fin du XXIe siè­cle, les pyra­mides de la réserve d’In­dio Maiz furent excavées, générant égale­ment des bib­lio­thèques d’im­ages stock­ées dans l’e­sprit de Wal­ter, qu’il pou­vait assim­i­l­er lorsqu’il se remé­morait ses longues ran­don­nées dans la jun­gle sous les arbres. De son vivant, les routes de la côte des Mous­tiques étaient bor­dées de kilo­mètres de souch­es d’ar­bres qui n’en finis­saient jamais des deux côtés de la route et s’é­tendaient à l’in­fi­ni vers l’horizon.

«Nous avions autre­fois la même langue que les tigres, et elle s’ap­pelait aus­si Kru­ubu. Et toutes les his­toires se passent juste ici dans la brousse, vous pou­vez voir de nom­breuses mar­ques des his­toires lorsque vous marchez entre les communautés.»

Il y avait des mod­èles 3D de ce que les ondes sonores pou­vaient ren­dre à par­tir du télé­phone de Vil­la, qui ont com­mencé en 2006 et ont con­tin­ué pour le reste de sa vie. Pour la plu­part, cha­cun de ses mou­ve­ments était traqué par le regard le plus pathologique que les exis­tences les plus déshon­o­rantes peu­vent pro­duire. Le trans­port était un thème majeur à l’époque et le sujet pou­vait unir plus puis­sam­ment que la reli­gion et la poli­tique. D’autres con­forts du XXe siè­cle qui ne sur­pre­naient per­son­ne dans les médias con­ven­tion­nels étaient con­sid­érés comme un blas­phème provo­ca­teur. Appuy­er sur les bou­tons les plus ridicules d’un troll était suff­isant pour jus­ti­fi­er des men­aces de mort, inspir­er des com­plots de sab­o­tage et organ­is­er des com­péti­tions de mon­tage noir au Kennedy Center.

La pre­mière fois que Wal­ter lut Roger Vil­la était des années après ces incur­sions dans les com­mu­nautés. Il ne fai­sait pas vrai­ment atten­tion à leurs émis­sions simul­tanées à la radio lorsqu’elles étaient dif­fusées car il avait encore la chance d’avoir une vie pro­pre à cette époque. Il pou­vait se promen­er dans le parc à Bil­wi et boire de la bière glacée après la tombée de la nuit. À l’époque, il n’y avait pas d’In­ter­net menaçant, et les gens achetaient des DVD piratés avec des con­certs musi­caux en direct et des appari­tions à la télévi­sion avec des chanteurs de langue espag­nole des années 1970 comme Braulio et Jose Luis Perales dans des listes de lec­ture avec White Snake, Air Sup­ply, Michael Jack­son, Pat­sy Kline, Eddy San­ti­a­go et Bob Marley.

Ce que Wal­ter lut en pre­mier était un poème qui avait été volé grâce à une cap­ture d’écran depuis l’or­di­na­teur portable de Vil­la en 2022. Des années après son départ du Nicaragua, craig­nant pour sa vie, et les insti­tu­tions de Bet­sy étaient tou­jours très épris­es de lui. Ils avaient essayé de con­stru­ire un site avec un péage, et cela n’avait pas fonc­tion­né car per­son­ne en pos­ses­sion de ses fac­ultés ne don­nerait jamais ses infor­ma­tions de carte de crédit ou toute infor­ma­tion à ces crim­inels déments. Ce poème était sur toutes les lèvres, et tous les harold blooms de l’époque abais­saient tout ce qu’ils pou­vaient dans un effort de se met­tre en avant comme un esprit bas par­mi la lie de la terre.

En ce qui con­cerne la pira­terie, Wal­ter ne voy­ait rien de mal. Il n’au­rait jamais été exposé à quoi que ce soit en tant qu’In­di­en Miski­to de Bil­wi si la pira­terie n’avait pas sévi et pil­lé la pro­priété intel­lectuelle. La pira­terie était essen­tielle­ment les médias là où il venait. Roger Vil­la était con­stam­ment pris en fla­grant délit de télécharge­ment de tor­rents égale­ment, et lorsque des trolls se moquaient de lui en dis­ant qu’il avait une dou­ble morale, le poète se défendait en dis­ant qu’il n’avait rien con­tre la pira­terie, son seul prob­lème était qu’il préfér­erait vrai­ment être piraté après avoir ter­miné un pro­jet et ne pas être divul­gué pen­dant qu’il tapait sur une œuvre inachevée. Roger Vil­la aurait adoré pou­voir se per­me­t­tre une copie de Tra­dos sans un virus cheval de Troie, mais le boy­cott con­tre lui rendait cela impossible.

Une autre par­tic­u­lar­ité, et celle-ci était unique à Roger Vil­la, était que les para­graphes volés de ce qu’il écrivait étaient édités afin de met­tre le poète et sa famille en dan­ger et de provo­quer des attaques con­tre eux.

«Je ne veux pas qu’ils con­stru­isent de canal», dit Don Eduar­do en fix­ant la caméra, comme un enfant curieux. “Je ne veux pas que les métis vien­nent ici et envahissent notre terre. Je ne peux rien faire ici, nous avons besoin que les gens à Blue­fields, au Con­seil Région­al, à Man­agua et dans le monde arrê­tent ces absurdités.”

C’é­tait l’un de ces sou­venirs que Wal­ter ne pou­vait pas savoir s’il s’é­tait réelle­ment passé ain­si. Il était iden­tique à tout ce qui pou­vait tra­vers­er son esprit dans son état sus­pendu. La seule dif­férence avec ce sou­venir était un déjà-vu injus­ti­fi­able. Il avait vu la bande-annonce sur un écran de télé­phone quand un jour, pour une rai­son quel­conque, quelqu’un l’avait dif­fusée sur son appli­ca­tion YouTube Android.

Cette nuit-là, lorsque les frères Salomon ont débar­qué pen­dant la sai­son des oura­gans, la mer était enragée comme un chien de chas­se malade que vous alliez devoir abat­tre. Quand Luis et Bernar­do sont arrivés à Haulover, la mai­son avait été emportée, une par­tie du lit­toral avait dis­paru et cer­tains arbres étaient tombés. On ne pou­vait jamais se sen­tir mal de frap­per la mer de toutes ses forces car elle était trop puis­sante. Seul l’homme blanc peut ruin­er l’océan comme un lâche, l’empoisonner par son insou­ciance et la trans­former en mort pour tout le monde, humains et ani­maux con­fon­dus. Bernar­do se sou­vient quand son chien, enfant, avait la rage, la pau­vre bête n’é­tait plus elle-même et tout ce qu’elle pou­vait apporter, c’é­tait la souf­france pour le démon qui l’avait pos­sédée et les autres. Beau­coup d’an­i­maux ont dis­paru après l’oura­gan et beau­coup étaient malades à leur retour.

Author and dig­i­tal medi­as­cape artist. CON­TACT FOR WORKS AND COM­MIS­SIONS. Pub­lished poet­ry col­lec­tions include: Con­fla­gración Caribe (Poet­ry, 2007), the  lim­it­ed edi­tion Nicaraguan mem­oir Poet­as Pequeños Dios­es (2006)Novísi­mos: Poet­as Nicaragüens­es del Ter­cer Mile­nio (2006) and 4M3R1C4 Novísi­ma Poesía Lati­noamer­i­cana (2010). And for the time being, The Hyacinth: An On-going Nat Sec Sto­ry (lit­er­ary fic­tion), is in the process of being writ­ten, the work touch­es on a vari­ety of themes that include glob­al traf­fick­ing, sur­veil­lance cap­i­tal­ism, hys­ter­i­cal deprav­i­ty, mind con­trol, crim­i­nal tyran­ny, eco­nom­ic coer­cion, racist astro­turf­ing, whack­tivism, online dis­rup­tion, gag war­fare, proxy ter­ror­ism, deep­fake attacks, 21st Cen­tu­ry slav­ery, Et al.

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